Giulietto Chiesa |
Très
souvent, il m’arrive d’expliquer que je ne suis pas très content d'être
journaliste. À ce jour, cette profession est trop discréditée. Quand les jeunes
gars me disent qu'ils veulent devenir journalistes, je leur explique que sincèrement,
cela sera très difficile. Aujourd'hui, on ne peut réussir qu’à une seule condition
– il faut mentir.
Depuis
longtemps j’étudie des signes de crise, nombreux sont ceux qui disent que je suis
catastrophiste, que je suis trop pessimiste, cependant j’exprime ce que je
vois. Beaucoup de mes collègues voient la même chose, mais ils ne racontent
rien, pour des raisons différentes. Les gens se demandent pourquoi ils ne connaissent
pas grand-chose à propos des problèmes d'aujourd'hui, la réponse est évidente -
car le journalisme a cessé d'être honnête, il ne se donne même plus la peine d’essayer
d'être honnête.
Il est
clair qu'une objectivité totale n'existe pas, c'est une illusion, mais c’est le
système de fourniture de l'information qui a fondamentalement changé. Par
exemple, le public occidental ne sait absolument rien de tous les événements relatifs
à l'Ukraine. Même les politiciens italiens sont ignorants, ne parlons pas des
gens ordinaires.
Les
médias occidentaux présentent des informations altérées ou bien passent sous
silence des faits criants : dans leur interprétation, la Russie selon la
volonté du dictateur Poutine a occupé toute l'Ukraine, qui se veut un État
libre et indépendant, qui veut adhérer à l'Union européenne.
Je suis
très préoccupé par le niveau intellectuel très bas des hommes d’État. Plusieurs
fois, j'ai été témoin que ceux qui prennent des décisions importantes, ne
savent pas, ne comprennent pas de quoi il s'agit. Maintenant tous ceux qui arrivent
au pouvoir ont un esprit très étroit, ils pensent et agissent dans la
perspective historique à court terme, et c’est faux. On ne peut pas dire que la
faute leur incombe uniquement.
Non, le
système politique lui-même a conduit à cette dégénérescence. La vie s’est trop
accélérée, les gens n'ont pas le temps pour la suivre, ils ne sont pas capables
de digérer une telle quantité d'informations en un temps si court.
J'ai pu
le sentir profondément du temps où j’étais au Parlement européen, lorsque tout
simplement vous n’avez pas le temps pour étudier un quelconque problème
important. Auparavant, les hommes politiques écrivaient des livres, et
maintenant ils ne font que les publier sous leur nom, sans le moindre effort
mental pour le faire.
Maintenant
en ce qui concerne l'Ukraine. Au cours des années de l'indépendance, l'État
ukrainien a été dirigé par quatre présidents, ils ont tous agi en dehors de
toute compréhension du devoir social envers leurs citoyens. Ce sont des gens
irresponsables. Kravtchouk a signé le document validant l'effondrement d'un
immense pays sans la moindre idée de ce qu'il allait faire par la suite.
Apparemment,
ceux qui se sont réunis dans la forêt de Bialowieza (Belovejskaïa Pouchtcha,
aussi appelée, forêt de Bialovèse) au moment même, n’ont pas du tout pensé à
l'avenir. Vous voyez, après l’effondrement de l'Union soviétique, Eltsine a
tout simplement soldé la Russie - c'est évident.
Ses
collègues ukrainiens - Kravtchouk, Koutchma, Iouchtchenko ne sont pas mieux,
ils n'étaient pas des acteurs indépendants, ils ne pouvaient prendre aucune décision,
ils n’ont fait que suivre les instructions de l'étranger, ils étaient des
mercenaires ordinaires. L'Ukraine a été depuis longtemps dans les mains des États-Unis.
Mais ce système vicieux peut être détruit, nous avons besoin de sang frais -
les jeunes qui n'auront pas peur de prendre des risques.
Le fait qu'ils
n'ont pas d'expérience, c’est plutôt bien, parce que toute l'expérience antérieure
des politiciens de la vieille trempe est négative. Oui, ils vont faire des
erreurs, mais ils ne livreront pas leur pays.
La crise s'accroît
et ouvre d'énormes problèmes mondiaux, qui formeront de nouveaux leaders. La
crise mondiale jettera le doute sur toutes les normes et règles de vie antérieures.
Des idées
du XXe siècle ne nous aideront pas à y faire face. Le nouveau siècle apportera
un autre système des signes de crise, et, dans tous les cas, les nouveaux
hommes seront aptes à les traiter. En Italie, il existe un parti "Cinq
étoiles", qui a été fondé il n’y a pas si longtemps par l’humoriste connu Beppe
Grillo.
Il a
compris avant les autres hommes politiques italiens que la crise se développe,
et est le premier qui a commencé un débat public à grande échelle, en levant
toute une armée de jeunes gars. Aujourd'hui le Parlement italien compte 173
sénateurs et députés de ce parti, et le manque d'expérience ne les a pas
empêchés de mener leurs activités, ils se sont très vite rattrapés de la
situation.
Le
renouveau est inévitable, tôt ou tard cela arriverait de toute façon. La
dégradation générale de l'homme est partout, et ce processus n'a pas commencé
hier. Il existe un document très intéressant « Mémorandum Powell » (The
Powell Memo), dénommé par le nom d’un banquier, qui, dans les années 70’ du
siècle dernier, l'a formulé.
Cette
période-là était le point clé, c'est à cette époque - après la crise pétrolière,
après la décision de Nixon de dissocier le dollar de l'or – que l'histoire humaine
a connu le changement capital, et l'ère du néolibéralisme a commencé.
Généralement,
eux – les élites mondiales – la crème capitaliste mondiale : les
banquiers, les propriétaires des sociétés transnationales, les créateurs de la
Réserve Fédérale, les gens qui contrôlent la Banque Centrale de l’Europe et du
Royaume-Uni – ont décidé de bloquer l’émergence de nouvelles idées en soumettant
à un contrôle strict tous les médias, les universités, tous les établissements
formant de nouveaux effectifs. Le résultat fondamental est une baisse générale
du niveau intellectuel du peuple.
La
génération actuelle, et nous aussi nous sommes devenus beaucoup plus faible
(dans tous les aspects) que quand ils ont révolutionné la conscience de masse.
Mais au moment de la crise de ce modèle de vie survient une possibilité
d'arrêter ce processus de chute et le tourner dans le sens d’évolution.
Dans deux
ou trois ans, ce sera évident ce qu'ils ont fait en Ukraine, le monde apprendra
certainement ce qui s'est véritablement passé à Odessa. Et le coup d'État en
Ukraine - ce n'est qu'un maillon dans la grande chaîne d'événements qui ont été
conditionnés par une évolution très rapide de la crise financière mondiale -
l'effondrement du modèle capitaliste.
Des élites
mondiales ont réalisé que tout ne tenait plus qu’à un cheveu et que bientôt tout
peut s'effondrer, et que la société d'abondance est finie, et que le monde s’est
rapproché de la société de déficit, dans lequel la démocratie est impossible.
Ils ont besoin de transformer le pouvoir du démocratique et consommateur en
autoritaire et redistribué, car bientôt les ressources deviendront
insuffisantes. Les États-Unis se trouvant au bord de la faillite sont le
conducteur principal de ce plan.
Ils préparent
un immense conflit. Tout ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine est une
préparation à la troisième guerre mondiale. Et leur objectif principal, c’est
la Russie, car c’est le pays le plus riche du monde et l’ennemi historique le
plus important. Après la Russie l'élite capitaliste s’en prendra à la Chine. Et
l'Ukraine ce n’est juste qu’un outil ! C'est le talon d'Achille de la
Russie.
Et cette
fois, ils ont franchi toutes les bornes. Pour déclarer Poutine dictateur, ils
avaient besoin de le discréditer, mettre dans une situation très difficile, et pour
cela ils se sont servis de mesures extrêmes - le nazisme.
Je me
souviens du propos de Brecht, qui a écrit en 1938 - « Quand la démocratie se
transformera en fascisme, elle aura le visage de l'Amérique ». Et tout cela
se réalise sous nos yeux, l'Amérique utilise ouvertement le nazisme.
Tout le
monde sait qu'ils ont dépensé plusieurs milliards de dollars pour "un
nouvel avenir pour l'Ukraine qu’elle mérite" - une belle expression de Victoria
Nuland, mais ils sont devenus eux-mêmes des fascistes.
Lorsque
le sénateur McCain va à l"EuroMaidan" et soutient ouvertement les
dirigeants nazis ukrainiens, lui, un des hommes les plus influents, le candidat
à la présidentielle avoue au monde entier qu'il est un nazi. C’est la même histoire
pour John Kerry. Les dirigeants américains ont ouvertement déclaré au monde
qu'ils sont les amis des nazis. Nous voyons en Ukraine la fin de la démocratie
occidentale.
L’Occident,
le lieu où autrefois on respectait les droits de l’homme, où on respectait la
liberté du choix, les principes de séparation des pouvoirs, a cessé d'exister.
Dans deux
ou trois ans, ce sera évident ce qu'ils ont fait en Ukraine, le monde apprendra
certainement ce qui s'est véritablement passé à Odessa. Trois mois après la
tragédie de la Maison des syndicats, et l'Europe se trouve déjà dans une
situation difficile, car elle a encouragé et fortement soutenu des bourreaux.
Mais...
une seule précision - ce n'était, de loin, pas toute l’Europe, mais l'Allemagne
en la personne de Mme Merkel et du ministre des Affaires étrangères M. Steinmeier,
et il y avait également beaucoup d’opposants, en particulier parmi les industriels.
Puis il y
a eu la Pologne, les républiques baltes. Le reste de l'Europe n’avait pas
soutenu le coup d'État à Kiev et a condamné l'action punitive des nouvelles soi-disant
autorités. Lors de la préparation de l'opération à Maïdan, puis lors de la
préparation des résolutions à Vilnius, personne n’a consulté l'Italie, l'Espagne,
la Grèce, le Portugal. Ces décisions ont été préparées dans la cuisine de
Bruxelles sous la direction des États-Unis.
Maïdan est
un double coup à la Russie et à l'Europe. Pourquoi Obama par deux fois au cours
de deux mois a-t-il visité l'Europe ? C'est sans précédent. Auparavant, il
n'avait pas fait plus d'un voyage par an.
Il a fait
comprendre qu’il fallait refuser le gaz russe. Maintenant, nous allons vous
fournir notre gaz de schiste. C’est-à-dire, maintenant l'Europe pour le bien de
l'Amérique doit tout payer : la dette de l'Ukraine ; l’augmentation
importante du coût de l'énergie, etc. Et pour la Russie, cela signifie la perte
de plus de cent milliards de dollars. Voilà une combinaison intéressante bien conçue.
Mais à
cause d’une telle hâte, ils ont commis quelques graves erreurs. Cette puissante
et franche russophobie a contribué à la renaissance de l'esprit russe. La
première fois depuis plus de vingt ans le peuple russe a eu une pleine
conscience de lui-même. Cette prise de conscience a commencé avec la Crimée.
Avant cela, les Russes en Ukraine restaient silencieux, même en Russie ils se taisaient,
et maintenant ils se sont réveillés.
Ils cherchaient
à affaiblir Poutine, et lui, au contraire, il s’en est sorti encore plus fort.
Bien sûr, ils peuvent toujours sérieusement influencer la situation interne de
la Russie, pour cela ils possèdent tous les outils nécessaires.
En effet,
la Russie est un pays capitaliste, pendant toutes ces années, Poutine lui-même
a conduit son pays au-devant de l'Occident. Quand je lis les données que
Gazprom, Rosneft appartiennent à moitié aux Américains et à d’autres
investisseurs étrangers, il est clair qu’ils peuvent se jouer d’eux.
Je crois
que la Russie pourra se défendre, mais ce sera difficile. Il faut s’y décider,
il faut se décider pour des changements fondamentaux.
Il y a de
grandes puissances qui sont encore capables de ne pas se soumettre aux intérêts
américains, ce sont la Chine et la Russie. La Russie possède des armes
nucléaires, des technologies capables de contrer les leurs. Il y a aussi
d'autres géants comme l'Inde, l'Iran, l'Amérique latine.
Poutine a
compris qu'il était impossible de se réconcilier avec l'Occident, et il a
commencé le changement de son équipe. La faible réponse de la Russie est
conditionnée par le fait que l’environnement approprié n’existe pas encore, il
n'est pas encore suffisamment formé.
Je pense
que les idées de Poutine en soi se trouvent au milieu du chemin. Il y a des
moments, il donne matière à penser qu'il s'est rendu compte de la gravité de la
situation. Il a superbement agi, quand il s'est rendu compte que les intérêts
de l'Europe et de l'Amérique ne sont pas les mêmes, et il a immédiatement
essayé d’en jouer.
Il
comprend que maintenant la Russie à elle seule ne peut pas arrêter les
États-Unis. On peut y arriver si on parvient à diviser les opinions des
Européens et des Américains en créant une alliance stratégique entre l'Europe
et la Russie. Le mal doit être combattu ensemble, en attirant les partenaires
de son côté au moyen de nouvelles idées.
Giulietto
Chiesa (Vzglyad.ru)
Agence
centrale d’information Novorossia
Novorus.info
Un lien vers une autre intervention de Giulietto CHIESA
Source : novorus.info-news-analytics
Traduction : GalCha
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire