Retour de Donetsk. Thèses et photos
Françoise
Compoint
Un résumé clair, précis et sans concession sur les évènements de Novorussie
Photos : Françoise Compoint |
Prise
entre une Ukraine plongée dans ses délires nationo-européistes russophobes et
ses propres incertitudes étatiques dont la Russie elle-même, soucieuse du sort
des populations russophones du Donbass et assumant sa reconnaissance
non-officielle mais tacite des élections, ne saurait faire abstraction, la
République de Novorossia a encore bien des défis à relever.
J’ai
eu la chance, eh oui, l’immense chance de passer cinq jours à Donetsk. J’aurais
aimé y passer bien plus de temps, j’aurais aimé y retourner. Mais le poids des
circonstances m’en empêche. Du moins pour le moment. Ce que j’ai pu y voir
était loin des comptes rendus de Pierre Sautreuil ou d’Anne Nivat, sauf mon
infini respect pour ses deux reporters. Cette divergence majeure ne tient guère
à la mauvaise volonté ou à la malhonnêteté des uns ou des autres. Que nenni.
Elle tient à la différence d’optique qui caractérise notre vu et vécu. On peut
faire passer une infime partie de la réalité pour un ensemble dominant. En
stylistique, on appelle ça une synecdoque. On s’y accroche comme à un credo
dont on ne peut changer aucun terme parce qu’il est par définition sacré. Sacré
parce que commode. Compatible avec la stratégie adoptée par l’UE et l’OTAN. Une
telle approche est possible, mais contre-productive. Elle n’explique rien si
tant est que l’on veuille faire un effort de compréhension. Je privilégierais
pour ma part une grille de lecture beaucoup plus large qui s’abstiendrait de
mélanger les causes et les effets. Mon voyage m’a donc confortée dans les
thèses ci-dessous. Elles ont été confirmées par de multiples conversations avec
les autochtones et les réalités du terrain. Je vous encourage à visualiser les
photos ci-jointes.
Sans
rentrer dans les détails, les faits sont simples. Il y a eu un mouvement
protestataire de forte amplitude lancé en 2013, verbalement et financièrement
soutenu par les plus éminents manitous de l’univers atlantiste-globaliste.
Celui-ci, après maintes provocations sanglantes perpétrées par des snippers
anonymes place Maïdan, a entraîné le renversement du seul Président légitime d’Ukraine,
Viktor Ianoukovitch. Sa chute et son départ (provisoire à l’époque, à des fins
consultatives) a conduit au pouvoir un gouvernement fantoche pro-américain et
hautement corrompu entouré d’éléments ouvertement fascistes nostalgiques des
"exploits" de l’UPA (Armée insurrectionnelle ukrainienne) alliée à un
moment donné à l’Allemagne nazie sous les auspices du tristement célèbre Stépan
Bandera. S’en suivirent l’adoption de mesures antirusses (tentative d’interdire
l’usage du russe dans le Donbass, absurde, d’ailleurs, car il aurait fallu
commencer par Kiev), le dénigrement méthodique et systématique des populations
russophones et russophiles du Sud-Est taxées de fainéantes et d’obtuses, la
falsification des évènements cruciaux de la II GM, la réhabilitation puis l’héroïsation
des hauts dignitaires bandéristes collabos. Ajoutez-y le projet de pillage du
Donbass présenté comme une région subventionnée par Kiev malgré le fait que
Donetsk couvrait en 2013 20 % du PIB ukrainien, 8 % pour Lougansk,
avec une moyenne oscillant entre 22 et 25 % ces dernières années et la
déportation projetée des populations de souche expliquant la construction de
"camps de filtration", un fait confirmé en juin par Mikhaïl Koval,
ministre ukrainien de la Défense de mars à juillet 2014, et vous obtiendrez
un tableau d’ensemble très peu réjouissant. Un tableau parfait par les
activités traditionnellement sulfureuses de Shell dans la région malgré le
mécontentement grandissant d’une population que l’on ne veut pas écouter, car
elle n’en serait pas digne.
Et
maintenant, imaginez que vous soyez un habitant du Donbass au fait des
évènements et tenant à conserver votre identité et vos valeurs. Vous ne vous
reconnaissez ni dans les slogans euromaïdanesques, ni dans les dérives
bandéristes du parti Svoboda, ni dans la perception parasitaire que Kiev a de
votre région entendant en faire une sorte de vache à lait des clans
oligarchiques locaux eux-mêmes à la solde des oligarchies atlantistes. Vous
protestez, vous entendez négocier. On vous dénie ce droit pourtant si naturel.
Le 2 mai, ceux qui partagent vos idées sont massacrés à Odessa. Brûlés
vifs. Les bourreaux n’ont jamais été condamnés. C’est à croire qu’ils auraient
mérité d’être décorés par Kolomoïsky en personne. Réactives, Donetsk et les
villes avoisinantes lancent un référendum le 11 mai, confortés dans la
certitude de leur bon droit suite à l’interdiction des célébrations du 9 mai
et le traitement infligé aux vétérans. Le Monde a beau déformer les faits en
disant que les rebelles de Torez "tent [aient] d’imposer un
référendum", il n’en demeure pas moins que l’écrasante majorité de la
population – 89 % des électeurs – s’exprime par les urnes non pas par
contrainte ou amour particulier pour la Russie, mais par instinct de survie. S’il
est vrai que le déroulement du référendum de mai est plutôt opaque (il s’agit d’un
galop d’essai), la vraisemblance de ses résultats est corroborée par les
élections du 2 novembre dans les jeunes Républiques autoproclamées à la
hâte. Le "oui" pour l’indépendance, reconnu par plus de 70 observateurs
internationaux, obtient une majorité écrasante et éloquente.
Progressivement,
les tendances fédéralistes cèdent la place aux tendances indépendantistes. Le
modèle belge, suisse ou allemand initialement privilégié devient impensable avec
le lancement des opérations dites punitives qu’Anne Nivat, que l’on ne saurait
soupçonner de russophilie aiguë, désigne d’"opération
anti-terroriste" "pudiquement appelée [comme telle]. Pudiquement est
un bien joli mot. C’est tout aussi pudiquement que l’on voit surgir (du néant,
présumerait-on) des bataillons ultranationalistes hyper-violents de type
"Aïdar", "Azov" ou "Donbass" qui sans être
tendres avec les putschistes de Kiev combattent néanmoins aux côtés de la junte
ukrainienne faisant régner la terreur la plus totale dans leurs zones de
contrôle. C’est le cas à l’heure actuelle à Volnovakha, Avdiivka, Slaviansk,
Kramatorsk et Marioupol pour ne citer que quelques exemples, villes où le viol
est de facto dépénalisé les dépositions n’étant plus acceptées. Le traitement
infligé aux civils est tel qu’on voit fort bien à quel point ceux-ci sont
traités en non-ukrainiens ou en "sous-hommes" pour reprendre l’expression
de M. Iatseniouk. Cette prise de distance est flagrante lorsqu’on écoute l’intervention
du 23 octobre de Porochenko (Odessa) dans laquelle le Président ukrainien
dit "leurs enfants" en parlant des enfants du Donbass, faisant ainsi
un distinguo tout à fait net entre les petits Ukrainiens qui iront à l’école et
les petits des Républiques du Sud-Est qui resteront "dans les
sous-sols". Il en va de même des retraités qui pourtant toute leur vie,
quelles que soient leurs prises de position aujourd’hui, ont payé leurs impôts.
Or, voici qu’ils ne perçoivent plus une seule grivna. Autant que les
handicapés. Imposant au Donbass un blocus drastique, Kiev continue néanmoins à
revendiquer son charbon. Dans la même pseudo-logique, Kiev continue à violer
les accords trilatéraux de Minsk en cautionnant le pilonnage des quartiers
résidentiels et en passant obstinément sous silence les exactions commises par
les bataillons punitifs. Il y a plus de morts pendant la trêve de Minsk qu’il
n’y en avait avant. Le même genre de violation a été relevé après le
cessez-le-feu du 1er décembre, date à partir de laquelle les combats à l’aéroport
de Donetsk devaient cesser. N’en déplaise au mainstream médiatique occidental,
la trêve a été aussitôt violée par l’armée ukrainienne et rien qu’en une seule
nuit elle a été violée 62 fois.
Le
caractère systématiquement chaotique des frappes pourrait faire penser à un
manque de compétence. Or, comme nous l’apprend si bien M. Vladimir Rouban,
"chef du Corps d’officier" négociateur dans le processus d’échanges
des prisonniers – du côté ukrainien, soulignons-le ! – l’artillerie est
une science exacte. Il serait pour le moins ridicule de considérer qu’au XXIème siècle
l’artillerie manque régulièrement ses cibles en détruisant des immeubles, des
écoles, des hôpitaux et des orphelinats. Pour se faire une certaine idée de la
fréquence de ces supposées bavures, notons que près de 150 écoles de la
RPD ont déjà été restaurées et que 76 autres écoles devraient l’être dans
les mois à venir. Rien qu’en RPD. Quid de Lougansk, où il y a moins de
journalistes et donc moins de rapports ?
Début
décembre, alors que j’étais sur le point de quitter Donetsk, six obus ont
atteint l’accueil pédiatrique d’un hôpital psychiatrique dans la partie nord de
la ville. Encore une "bavure", oserait-on espérer pour se remonter
autant que possible le moral ? On se rappellera à ce sujet la mort
tragique de deux adolescents sur un terrain de foot avoisinant leur école. Ils
ont été démembrés par un obus. Il a depuis été établi par l’OSCE (rapport du
9.11) que les tirs provenaient d’Avdiivka, une ville de l’oblast' de Donetsk
entièrement contrôlée par l’armée. Pourquoi un tel silence de la part des
grands journaux européens ? Ne serait-il pas lié à la même raison motrice
qui fait que les tortures dont font l’objet les civiles et les membres de l’insurrection
sont ignorées par le Parlement européen et Human Rights Watch ? Pourquoi
est-ce que l’affaire Iourtchenko (Iouri Iourtchenko, poète et dramaturge
français d’origine ukrainienne) n’a eu presque aucun écho dans la presse
française ? Cruellement battu, libéré suite à un heureux concours de circonstances,
M. Iourtchenko a passé plus de deux mois à l’hôpital. Aucun média officiel
ne s’intéressa à son sort, ni avant ni après sa libération. Pourtant, Dieu sait
s’il avait des choses à dire. Il est également établi à l’heure qu’il est que
la mort de six journalistes étrangers et/ou non-autochtones (italien, ukrainien
et russes) n’est pas le fruit d’un tragique hasard. Ils ont été pris pour cible
en tant que membres de la presse, autrement dit, en tant que témoins. Ce
"traitement de faveur" des journalistes est à l’image du blocus
informationnel grandiose qui stigmatise les médias ukrainiens. Le processus a
commencé par l’interdiction totale de toutes les chaînes russes sans exception
pour finalement conduire à la création d’un ministère de l’Information dont le
seul rôle consistera à censurer toute pensée non conforme à la nouvelle Pravda
ukrainienne. Notons bien qu’il sera présidé par Youri Stets, ancien chef de la
sécurité de l’information de la Garde nationale, unité de police faisant partie
du système du ministère de l’Intérieur ukrainien et dont l’un des insignes, un
svastika à peine déguisé, explique bien pourquoi le bataillon Donbass formé sur
sa base a pour symbole l’aigle nazi renversé reproduisant le trident de la
Wehrmacht. Cette somme de faits et de coïncidences pour le peu troublants
n’interpelle pas les démocraties européennes trop occupées à rechercher les
traces d’une éventuelle présence militaire russe dans le Donbass.
C’est
à peine si les grands journaux loyalistes occidentaux se sont attardés sur la
réalité hideuse des charniers ou fosses communes. Fin septembre, trois
charniers ont été retrouvés dans les environs de Donetsk. L’un à Nijniaïa
Krynka, l’autre à Kommounar (5 combattants et 4 civils torturés et
exécutés d’une balle dans la nuque), un troisième dans la commune villageoise
de Telmanovo avec les corps de 30 civils torturés et exécutés de la même
façon (l’une des victimes avait été retrouvée décapitée). Doit-on y voir une
esquisse de génocide ou des exactions isolées que Kiev n’a jamais vraiment
condamnées ? On attend toujours les réactions du Parlement européen
manifestement refroidies par les formules immuablement lénifiantes des médias.
Comment
veut-on continuer à condamner les mouvements de protestation qui ont soulevé le
Donbass dès la mi-avril et conduit, in fine, à la proclamation d’une République
aspirant à l’indépendance suite à des élections dont le bon déroulement a été
confirmé par près de 70 observateurs internationaux ?
Reconnaitrait-on un gouvernement agressif issu d’un coup d’État armé sans
reconnaitre le droit d’un peuple opprimé à l’autodétermination, un droit
inscrit en bonne et due forme dans la Charte des Nations Unies. La résolution
numéro 1514 adoptée en 1960 précise en effet que seuls les peuples qui ont
subi une "subjugation, domination et exploitation étrangères" ont le
droit de s’autodéterminer. Le cas du Donbass, bien qu’extraordinaire, s’y
rapporte indirectement. La réforme linguistique (en fait civilisationnelle)
engagée par un gouvernement illégitime, car putschiste suivie de l’adoption de
plans d’exploitation de la région allant au détriment des intérêts primaires
des autochtones, les mesures répressives radicales qui s’en suivent, valident
le contexte énoncé par la résolution numéro 1514.
En
conséquence de quoi :
– Armer un gouvernement putschiste violemment dictateur et taxer un mouvement de Résistance populaire non-expansionniste de « terroriste » relève de l’incohérence pure et simple ou de l’hypocrisie. On avait durement réprimé en France un mouvement social, la Manif pour tous, tout en applaudissant le Maïdan, un soulèvement sociopolitique d’une violence inouïe. Là encore, sommes-nous bien cohérents ?
– Les réflexions de M. Sautreuil concernant le nombre de croix gammées sur les corps des uns et des autres n’ont que très peu de sens pratique. Le programme politique de la Novorossia s’appuie sur une condamnation des plus fermes du nazisme et de tout ce qui constitue son héritage. Il est bien connu que des ultra-nationalistes russes en quête d’aventure ont rejoint les groupes d’autodéfense des RPD et RPL fin printemps, début été. Ils constituaient dès le début une infime minorité non représentative.
– Il est en effet difficile de démontrer que les habitants du Sud-Est ukrainien ont été victimes d’un génocide. Ceci étant, comment qualifier le pilonnage systématique de l’infrastructure, à savoir des hôpitaux et des écoles maternelles ? J’ai été à Donetsk 5 jours. Les tirs ne cessaient presque jamais les salves retentissant sur la ville plusieurs fois par jour. Il ne se passait pas un jour sans qu’un immeuble ne soit touché. Comment qualifier les activités des bataillons punitifs instrumentalisés par Kiev au même titre que les « bons » djihadistes par certaines grandes puissances ?
– La Résistance menée par le Donbass n’est pas motivée par le souci de rejoindre la Russie. Le Donbass n’est pas la Crimée. J’ai parlé à grand nombre de gens que les médias qualifient maladroitement de « pro-russes ». Ils ne sont ni pro-russes ni antirusses. Leur but est de survivre, aussi bien sur un plan identitaire qu’économique. Un protectorat économique avec la Russie n’est pas exclu dans un premier temps, mais en aucun cas il ne s’agira d’un rattachement à la Fédération de Russie. Le Donbass n’en veut pas plus que la Russie.
– Si le blocus informationnel qui pèse aujourd’hui sur le dossier du Donbass n’est pas cassé au plus vite, une véritable catastrophe humaine et humanitaire qui conforterait les coupables – tant Ukrainiens que non-Ukrainiens – dans leur sentiment d’impunité n’est pas à exclure.
[Ces coupables] ne sont
grands que parce que nous sommes à genoux, comme le disait si
bien La Boétie. Si nous ne voulons pas être à genoux face à la désinformation
hallucinée et hallucinante dont on nous abreuve, il faut se rendre sur place et
témoigner autant que possible. J’étais à quelques pas de l’aéroport de Donetsk
lorsque mon guide,
une jeune veuve de 19 ans, me dit ceci : « On nous anéantit ! Vous qui êtes journaliste, faites en sorte qu’on le sache en France ! » Ce cri de désespoir n’est pas isolé. Je l’entends encore.
Source :
La Voix de
la Russie
Photos : Françoise Compoint
Lire la suite: http://french.ruvr.ru/radio_broadcast/no_program/281047247/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire