Lustration en Ukraine : sacrifier les fonctionnaires au profit du pouvoir
2 décembre 2014
© Photo : RIA Novosti/Mykola Lazarenko |
Par
La Voix de la Russie | Plus de 500 fonctionnaires ont été révoqués en
Ukraine, victimes de lustration. En annonçant la deuxième étape de nettoyage du
pouvoir, Arseni Iatseniouk a déclaré qu’environ un million d’agents de l’État
étaient concernés par la loi sur la lustration.
Le
Premier ministre ukrainien prévoyait qu’il faudrait deux ans pour mener à terme
la procédure de licenciement. En attendant, la loi est sans cesse modifiée.
Elle n’est plus applicable aux grands fonctionnaires de l’État et l’administration
présidentielle envisage d’y apporter d’autres amendements, faute de quoi il
faudra licencier quasiment tout le monde.
Kiev
croit qu’il n’est pas obligé de se conformer la loi. Le nouveau pouvoir a
inventé les règles de nettoyage du pouvoir et s’estime autorisé à les modifier
à sa guise. La version initiale de la loi sur la lustration aurait pu coûter
leur carrière politique à beaucoup de fonctionnaires en place, y compris à ceux
qui avaient revendiqué le renversement de l’ancien pouvoir sur le Maïdan.
Ioulia Timochenko, Premier ministre sous le président Viktor Ianoukovitch,
aurait notamment dû quitter ses fonctions. Le même sort aurait dû attendre tout
son entourage, mais aussi Piotr Porochenko. Le législateur s’est alors ressaisi
et a précisé qu’il fallait licencier seulement ceux qui avaient travaillé sous
la présidence de Viktor Ianoukovitch pendant au moins un an. Timochenko et son
équipe ont été au pouvoir beaucoup moins de temps. Si un fonctionnaire a donc
occupé ses fonctions pendant 11 mois et 29 jours, il est considéré
comme un politique honnête et correct. Mais s’il a travaillé pendant un an et
un jour, il doit en urgence faire l’objet d’une lustration. Quant au président,
il est intouchable parce qu’il est élu. Les personnes ayant deux nationalités
doivent aussi être licenciées. C’est le cas du milliardaire Kolomoïsky.
Celui-ci a pourtant été laissé à son poste du gouverneur de la région de
Dniepropetrovsk même si cela est contraire aux dispositions de la loi. La
lustration en Ukraine n’est donc pas réelle pour l’instant, dit le président de
la direction du Fonds du développement de la société civile Konstantin Dolgov.
« C’est une loi faiblement appliquée. Elle apporte plus de mal que de bien à l’Ukraine. La lustration, ce n’est pas pour punir les fonctionnaires corrompus, mais pour faire semblant qu’il y a un changement.
En plus de cela, la lustration est une occasion de régler les comptes. Il n’y a pas d’enquête à proprement parler. On licencie sur le fait que la personne a occupé certaines fonctions dans une certaine période de temps. Cela suffit pour être licencié. Cette personne a peut-être été très utile à son pays, mais on n’en tient pas compte. Les fonctionnaires du système judiciaire sont également visés, c’est-à-dire qu’il y a une possibilité de faire pression sur les juges, une possibilité d’en tirer profit. »
Les
autorités disent aux Ukrainiens que toute personne peut devenir agent de
lustration. Elles appellent les gens à étudier les parcours des personnalités
politiques et à signaler les inexactitudes suspectes qu’ils y trouveraient.
Trop enthousiaste, on oublie que ce nettoyage du pouvoir laisse inoccupés des
centaines d’emplois et met au chômage des centaines de personnes. Ni la
participation populaire, ni de nombreux amendements ne rendent meilleure la loi
absurde sur la lustration, est convaincu le politologue Alexeï Titkov de la
faculté des sciences sociales de l’École des hautes études en sciences
économiques.
« Beaucoup trop de gens sont touchés par cette loi : environ un million de personnes. Pour un pays de 40 millions d’habitants, c’est beaucoup trop. Et puis la procédure de lustration n’est pas clairement définie par la loi. Cela permet l’arbitraire et toutes sortes de situations litigieuses. On peut même supposer que Porochenko et son entourage abandonneraient volontiers la lustration, mais qu’ils subissent la pression de la part de l’opinion publique et des forces politiques que Porochenko ne peut pas négliger en ce moment. »
L’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe explique dans sa résolution adoptée en
1996 qu’une lustration est possible dans un État démocratique sous certaines
conditions : la responsabilité de la personne doit être établie dans
chaque cas concret et les suspects doivent bénéficier de la présomption
d’innocence, avoir le droit à la défense et à la justice. Mais le rêve
ukrainien de l’euro-intégration est, semble-t-il, incompatible avec les lois
conformes au droit international.
Maria
Baliabina
Source : La
Voix de la Russie
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