Vladimir Poutine : « Si c’est ça, les valeurs européennes, je suis terriblement déçu »
publié jeudi 4 septembre 2014
Traduit par : Inna DOULKINA
Vladimir Poutine au forum Seliguer. Kremlin.ru |
Sur l’Ukraine
Que
s’est-il passé en Ukraine ? Le président Ianoukovitch a reporté la
signature de l’accord d’association économique avec l’UE, car il estimait que
le document nécessitait d’être retravaillé. Nos partenaires occidentaux, en
s’appuyant sur des éléments radicaux et nationalistes à l’intérieur du pays,
ont organisé un coup d’État. Quoi que l’on ait pu me raconter à ce sujet, nous
savons parfaitement ce qui s’est passé réellement – nous ne sommes pas dupes,
nous avons vu les petits fours symboliques distribués sur la place Maïdan. Les
États-Unis et l’UE sont impliqués dans ce coup d’État, dans ce changement de
pouvoir par la force, anticonstitutionnel. Et aujourd’hui, nous voyons la
partie du pays qui n’a pas accepté ce qui s’était passé subir des attaques de
chars, des bombardements d’artillerie et d’aviation. Si c’est ça, les valeurs
européennes, je suis terriblement déçu.
La Russie est un pays qui n’a peur de rien
Sur la peur
La
Russie est un pays qui n’a peur de rien, mais qui analyse toujours de façon
objective tout ce qui se passe autour d’elle. Et élabore son travail en
conséquence.
Sur les Tatars
Je
tiens à souligner que les présidents du Tatarstan, l’ancien aussi bien que
l’actuel, sont de véritables patriotes de la Russie, ce que nous avons pu
sentir très fortement pendant les événements de Crimée. Le président tatar
s’est rendu à plusieurs reprises sur la péninsule, il a rencontré les
représentants des Tatars de Crimée et leur a parlé de la façon dont vivent les
Tatars de Russie. Près de trois millions de Tatars vivent au Tatarstan, et
trois autres millions sur le reste du territoire russe. Notre objectif est de
faire en sorte que tous les individus, quelle que soit leur ethnie, se sentent
citoyens russes à part entière et bénéficient de droits égaux.
Vladimir Poutine au forum Seliguer. Kremlin.ru |
Sur Krasnoïarsk
Je
pense qu’il serait juste, et possible, de transférer certains organes fédéraux
en Sibérie – et c’est à mon sens la ville de Krasnoïarsk qui serait la plus à
même de les accueillir. Krasnoïarsk est le centre géographique de notre pays,
c’est une grande ville à l’infrastructure développée, possédant un aéroport de
qualité, située dans un très bel environnement naturel, et peuplée de gens
formidables.
Sur l’opposition
On
se souvient que pendant la Première Guerre mondiale, à l’heure où soldats et
officiers russes se sacrifiaient et se comportaient en véritables héros sur les
champs de bataille, les bolchéviques désiraient ardemment, à l’inverse, la
défaite de la Russie. Ils ont œuvré à la disloquer de l’intérieur et fini par
la détruire – la Russie s’est déclarée vaincue face à un pays qui lui aussi a
perdu la guerre. C’est absurde, mais c’est précisément ce qui est arrivé – et
c’est une démonstration parfaite d’une entreprise de trahison des intérêts
nationaux russes. Des gens comme ça, nous en avons aussi aujourd’hui. On en
trouve, malheureusement, dans toutes les sociétés du monde. Quoi qu’il en soit,
je pense que ces gens-là ne pourront jamais accéder aux positions premières au
sein de notre État, que les fondements mêmes de notre État ne le permettront
pas.
Le Kazakhstan est notre plus proche allié et partenaire
Sur le Kazakhstan
Le
Kazakhstan est notre plus proche allié et partenaire. Son président Noursoultan
Nazarbaev est un homme très expérimenté, très sage, constamment soucieux de
l’avenir de son pays. Je suis persuadé que la majorité des Kazakhs sont pour le
développement des relations avec la Russie – nous le voyons et nous le savons.
Nazarbaev
est un dirigeant très savant, probablement le plus savant de tout l’espace
post-soviétique, il n’irait jamais contre la volonté de son peuple. Il ressent
très précisément ce que son peuple attend de lui. Tout ce qu’il a pu réaliser
ces derniers temps grâce à ses qualités organisationnelles et son expérience
politique correspond parfaitement aux intérêts nationaux du Kazakhstan.
Il
a accompli une œuvre sans précédent : il a créé un État sur un territoire
qui n’en avait jamais eu. Les Kazakhs n’avaient pas leur propre État, et
Nazarbaev l’a créé. Je dois aussi avouer que c’est de lui que vient l’idée de
la création de l’Union eurasiatique – un projet que nous soutenons et dont nous
travaillons actuellement à la mise en œuvre.
Les solutions prises en dehors du cadre de l’ONU sont vouées à l’échec.
Sur l’ONU
L’ONU
est-elle efficace aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, il faut se
demander si elle l’était par le passé, au moment de sa création, au début de la
Guerre froide. À l’époque, à l’ONU, on surnommait notre Andreï Gromyko
(ministre des affaires étrangères soviétique de 1957 à 1985, NDLR) "Monsieur
Non". Et en effet, il disait toujours non – parce que l’Union Soviétique
avait ses idées propres sur ce qui correspondait à ses intérêts, sur ce qui
était juste.
Ceux
qui critiquent aujourd’hui les dirigeants soviétiques se trompent quand ils
disent que l’URSS, dans sa prise de décisions, n’était mue que par l’idéologie.
Ce n’était pas toujours le cas – très souvent, l’URSS était guidée par des
intérêts géopolitiques.
S’il
n’y a plus aujourd’hui, dans nos relations avec l’Occident, de dissensions
idéologiques, la lutte entre nous n’en est pas moins acharnée. À l’inverse,
elle a encore crû en intensité. La géopolitique a de tout temps constitué la
base des intérêts de chaque État, et elle le reste.
L’ONU
n’agit pas toujours efficacement. On peut citer, à titre d’exemple, le cas de
la Yougoslavie ou de l’Irak. Nous étions contre le recours à la force en Irak,
tout comme la France et l’Allemagne. La situation était unique alors : des
pays comme la France et l’Allemagne ont fait front commun avec nous contre la
position des États-Unis – c’est un fait hautement parlant. Et si, aujourd’hui,
les leaders européens ne semblent pas chercher spécialement à affirmer leur
indépendance, cela ne signifie pas dire que cette aspiration à une position
propre ait disparu.
Bien
au contraire, à l’heure actuelle, les sociétés dans le monde entier aspirent de
plus en plus à l’indépendance, à la souveraineté, à avoir leur avis propre.
Cette tendance ne fait que croître, et elle grandira encore à l’avenir. Et
c’est dommage que nos collègues en Occident ne s’en rendent pas tous compte.
Mais quoi qu’il en soit, il faut comprendre que les solutions prises en dehors
du cadre de l’ONU sont vouées à l’échec.
On
nous disait à l’époque que nous les Russes, quoi que nous fassions, finissions
toujours par fabriquer une kalachnikov. Eh bien, j’ai aujourd’hui l’impression
que, quoi que fassent les Américains, ils obtiennent toujours la Libye ou
l’Irak.
Je
ne partage pas du tout l’opinion selon laquelle l’ONU n’est pas efficace. Je
pense qu’il faut commencer par se servir correctement des mécanismes et outils
qu’elle nous offre – il faut se montrer patient et travailler en professionnel,
respecter les autres points de vue et rechercher le consensus. L’ONU
sera-t-elle véritablement plus efficace si elle devient l’instrument des
intérêts politiques d’un seul pays – je pense aux États-Unis et leurs alliés ?
Au
contraire, elle y perdrait irrémédiablement sa vocation première. Une autre
question se pose : faut-il développer l’ONU ? La réponse est oui,
évidemment ; d’autant que nous assistons en ce moment à l’arrivée sur
l’avant-scène de la politique mondiale d’États tels l’Inde ou l’Allemagne.
Rappelons-nous que c’est la tentative de faire de l’Allemagne la seule responsable de la Première Guerre mondiale qui nous a amené la Seconde Guerre mondiale
Sur l’Allemagne
L’Allemagne
n’est plus ce pays ressorti de la Seconde Guerre mondiale, qui a porté des
années durant le fardeau de la tragédie qu’Hitler avait à l’époque fait subir
au peuple allemand.
Certains
voudraient qu’aujourd’hui encore, les Allemands se sentent coupables pour les
agissements d’Hitler. Certes, il ne faut pas oublier ce qui est arrivé, il faut
en tirer les bilans adéquats, mais dans le même temps, le peuple allemand ne
doit pas porter la responsabilité des actes hitlériens pendant mille années
encore. Rappelons-nous que c’est la tentative de faire de l’Allemagne la seule
responsable de la Première Guerre mondiale qui nous a amené la Seconde Guerre
mondiale.
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Sur une participation
éventuelle de la Russie aux conflits militaires
La
Russie est très loin de l’idée de prendre part aux conflits militaires. Nous ne
le voulons pas, et nous n’avons pas l’intention de le faire. Naturellement,
nous devons toujours être prêts à faire face à un acte d’agression contre la
Russie. Nos partenaires doivent comprendre qu’ils feraient mieux de ne pas
entrer en conflit avec nous, et ce, quelles que soient les dimensions de leur
État ou leurs conceptions de politique extérieure. Mais je pense aussi que,
Dieu merci, personne ne songe même, aujourd’hui, à déclencher un conflit
militaire avec la Russie.
Je
tiens aussi à rappeler que la Russie est une des puissances nucléaires les plus
importantes du monde – et ce n’est pas du vent, c’est la réalité. Nous
continuons d’augmenter nos capacités militaires, mais nous ne menaçons
personne. Nous le faisons pour nous sentir en sécurité et avoir la possibilité
de mener à bien nos projets dans les domaines économique et social.
J’espère
que la mémoire historique de l’humanité nous incitera à rechercher des
solutions pacifiques à tous les conflits qui surgissent et qui surgiront à
l’avenir. Nous prônons le dialogue politique et la quête de compromis.
Qui peut refuser à un peuple le droit à l’autodétermination ?
Sur la Crimée
Je
pense que la question de la reconnaissance de la Crimée dans le monde prendra
beaucoup de temps. Ce qui m’étonne, d’ailleurs, quand le cas du Kosovo avec la
Serbie montre que si la volonté politique est là, les décisions nécessaires se
prennent très facilement…
J’aimerais
rappeler que le Kosovo a déclaré sa souveraineté sans organiser de référendum,
à l’issue d’un simple vote du parlement kosovar. En Crimée, le parlement a
commencé par déclarer l’indépendance de la péninsule, puis, en se basant sur
les résultats du référendum populaire organisé, a pris la décision de la
rattacher à la Russie. Une façon beaucoup plus démocratique de décider de son
sort. Qui peut refuser à un peuple le droit à l’autodétermination ?
Quand
je soulève ces questions dans les discussions avec mes collègues occidentaux,
ils ne savent que répondre. Nous avons agi en parfait accord avec le droit
international et avec la charte de l’ONU qui affirme le droit des peuples à
l’autodétermination – qui y voit même sa mission première.
Nous
avons fondé toutes nos actions sur la volonté du peuple, sur la volonté des
Criméens. Nous avons déjà décidé d’augmenter les retraites, les allocations et
les salaires des médecins, des enseignants et des autres fonctionnaires
jusqu’au niveau de la Russie.
Nous
allons aussi développer les banques, nous allons les inciter à travailler en
Crimée, nous allons créer des emplois. Je suis absolument convaincu que la
Crimée sera en mesure de générer les revenus nécessaires à son développement et
d’apporter sa contribution au budget fédéral russe. La Crimée va en outre
retrouver sa place de première station balnéaire de Russie.
Sur l’agriculture
Nous
devons bien évidemment travailler encore plus au développement de notre secteur
agraire, même si beaucoup a déjà été accompli dans ce sens. Nous avons
sensiblement augmenté la production de poulet et de porc, de, respectivement,
83 % et 38 %.
Nous
sommes un peu en retard sur le bœuf, car c’est une production exigeant un cycle
plus long, entre huit et douze ans, mais nous investissons des sommes
conséquentes dans la branche.
Le
fait de limiter l’accès des producteurs européens à notre marché crée des conditions
plus favorables pour nos agriculteurs et éleveurs : dans cette nouvelle
configuration, ils pourront se développer plus aisément. Car n’oublions pas que
l’Union européenne subventionne six fois plus son agriculture que la Russie.
Les
restrictions budgétaires nous empêchent de soutenir encore plus nos
producteurs, mais le gouvernement cherche actuellement des moyens de leur
accorder des aides supplémentaires : il ne suffit pas de fermer le marché,
il faut encore créer des possibilités de développement.
Vladimir Poutine au forum Seliguer. Kremlin.ru |
Sur Ianoukovitch et ses
relations avec Iouchtchenko et Timochenko
Nous
n’avons jamais aidé Ianoukovitch [à obtenir la présidence, NDLR]. Je tiens à ce
que vous le sachiez. Je tiens aussi à ce qu’on le sache dans toute la Russie et
en Ukraine.
La
Russie soutient toujours les pouvoirs en place. Jamais nous n’agissons comme le
font certains de nos partenaires. Peut-être sont-ils plus pragmatiques que nous
– ils mettent toujours leurs œufs dans différents paniers. C’est ce que
pratiquent les Américains. Même quand le gouvernement d’un pays leur est
parfaitement loyal, les Américains travaillent aussi, invariablement, avec
l’opposition. C’est absolument toujours le cas.
Souvent,
les Américains incitent l’opposition à attaquer le gouvernement afin que les
dirigeants en place se montrent encore plus loyaux à l’égard des États-Unis. Je
constate d’ailleurs que les Britanniques ont toujours agi de cette façon.
Les
États-Unis ont emprunté les méthodes anglo-saxonnes et y ont largement recours
aujourd’hui. Quoi que les Américains en disent – et ils réfuteront certainement
ce que je suis en train d’affirmer –, je suis intimement convaincu que les
choses se passent ainsi, et pas autrement. Mais nous ne pouvons pas, nous, agir
ainsi, et en particulier dans l’espace post-soviétique. Nous sommes dans une
situation différente, nous nous appuyons toujours sur les pouvoirs en place et
nous les soutenons entièrement.
Ce
qui ne signifie pas que nous soyons pour autant hostiles ou indifférents à
l’opposition, non. Nous considérons de manière égale tous les acteurs, mais
c’est avec le pouvoir en place que nous coopérons.
Source : Le Courrier de Russie
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