Un article de la "Voix de la Russie"
Donbass. Témoignage d’un ancien prisonnier !
Crédits : @LCDR |
Il s’agit de Youri
Iourtchenko, un poète français d’origine russo-ukrainienne. Ce courageux
quinquagénaire est parti dans le Donbass au début de l’été. Soucieux de briser
le blocus informationnel régnant dans le mainstream médiatique occidental,
soucieux de rétablir une vérité aussi limpide que fut celle des Résistants
français opposés à Vichy, il s’était résolu à gagner les zones de combat. C’est
en couvrant les affrontements entre les forces insurrectionnelles et la junte à
Ilovaïsk, petite ville située à 20 km de Donetsk, qu’il fut arrêté par le
bataillon Donbass.
Ce
qui lui arriva ultérieurement s’inscrit dans la ligne des traitements assez peu
droits-de-l’hommistes dont les "libérateurs" de la "Grande
Ukraine" gratifient ceux qui tombent entre leurs mains. Iouri ne faisait
pas exception surtout si l’on sait qu’Anton Gerashenko, conseiller du ministre
de l’Intérieur ukrainien, avait alors laissé sur son compte Facebook cette
caractéristique croustillante qu’on croirait presque extraite des classiques torquemadiens :
« [Iouri Iourtchenko] est une âme perdue, un barde du terrorisme du
Donbass ». Pensez bien ! Une âme perdue. Nous sommes en plein dans un
délire de type eschatologique.
La
façon dont le bataillon Donbass contribua au salut de son âme est aujourd’hui
bien connue. C’est la jambe cassée et les côtes brisées que cet "apologiste
du terrorisme" fut libéré après trois semaines de tortures physiques et
psychologiques continues dont six jours passés dans une armoire métallique en
compagnie de trois autres compagnons de malheur parmi lesquels un résistant
slovaque. Le calcul avait tout ce qu’il y a de plus jésuite : cette
armoire se trouvait dans la cour d’une maison occupée par des éléments
néo-bandéristes et que la Résistance avait par conséquent prise pour cible.
Contrairement
à ce qu’on aurait pu imaginer, la nationalité française de Iouri lui joua un
bien vilain tour. On lui dit d’écrire un article en faveur des agissements de
la junte et des bataillons d’inspiration bandériste. Il refusa. On le soumit
alors à une série d’interrogatoires menée par un certain Irakli, consultant du
renseignement ukrainien et originaire du même village que Galaktion Tabidze,
poète géorgien apprécié de Iouri qui avait récemment traduit quelques-uns de
ses poèmes. Cette heureuse coïncidence, le fait que Iouri ait vécu un certain
nombre de temps à Tbilissi et maîtrisait donc la langue maternelle de celui qui
l’avait interrogé, semble avoir déterminé l’issue de sa détention. Il fut
transmis à d’autres Géorgiens qui finalement, après l’avoir fait passer pour
l’un des leurs, l’emmenèrent jusqu’à Donetsk, ville où son insoutenable
calvaire prit fin. Pour ceux qui ne croient pas en Dieu, c’est peut-être en ces
circonstances que l’on acquiert la Foi.
Cette
entrée en matière effectuée, je donne la parole à Iouri Iourtchenko que j’ai eu
le plaisir de rencontrer à Moscou et qui vient de subir une nouvelle
intervention chirurgicale. Son récit ayant été aussi long que passionnant, à
mon grand regret, je ne publie ici que quelques extraits particulièrement
frappants.
La
Voix de la Russie. Qu’est-ce qui vous a poussé, vous, écrivain et poète, à vous
rendre dans le Donbass en pleine guerre ?
Iouri
Iourtchenko.
J’étais déjà lassé de la campagne de désinformation engagée par la presse occidentale
lors du conflit tchétchène. S’il s’agissait de rapports et de critiques objectifs,
je serais prêt à y adhérer.
Or, dans le cas présent, il
ne s’agissait que d’une campagne de dénigrement gratuit fondée sur des a priori
déconcertants. Ma réaction fut immédiate : je me suis immédiatement rangé
du côté des oppressés, de ceux que l’on discrédite au seul motif que leur
engagement dérange.
Je ne dis pas que toutes les
décisions prises par le Kremlin sont inconditionnellement justifiables, il y a
d’ailleurs plein de questions que j’aurais aimé poser à M. Poutine. Cela
étant, quand je vois que l’Occident a fait de lui un ennemi d’une manière
absolument caricaturale, cela pour la simple raison que cette caricature sert
ses intérêts, je n’hésite pas à prendre position. C’est mon devoir !
Indépendamment de ce que j’ai pu lire dans les médias occidentaux, ukrainiens
ou russes, – qu’importe a posteriori l’optique adoptée – malgré les défauts de
la politique intérieure russe, c’est peut-être la première fois que j’admire
Poutine comme chef d’État. J’admire au même titre Lavrov ou Tchourkine
[respectivement, ministre des Affaires étrangères russe et ambassadeur de la
Fédération de Russie auprès de l’ONU, NDLR] qui, faisant montre d’une grande
patience, résistent aux multiples provocations dont ils font quotidiennement
l’objet. Personne ne veut les écouter, or, ayant vécu ce que j’ai vécu, je confirme
qu’ils disent la vérité.
Lorsque j’entends dire mes
voisins, à Paris, que toute l’Ukraine est occupée par les troupes russes, que
les chars russes sont prêts à entrer dans Paris, je conçois bien que c’est là
la faute des médias qui désinforment en toute conscience, qui attisent non
moins sciemment le conflit, qui instrumentalisent le sentiment de haine qu’ils
provoquent eux-mêmes. Il ne suffit pas de leur dire qu’ils ont tort, que les
médias leur mentent. Pour pouvoir apporter un véritable démenti qui ne soit pas
fondé sur des images ou des textes tirés de Facebook, il fallait se rendre sur
le terrain. Voir de ses propres yeux l’indescriptible, l’inacceptable. Des
femmes et des enfants meurent tous les jours dans l’indifférence la plus
totale.
Comment pouvais-je rester
les bras croisés ? (…)
LVdlR.
Dans quelles circonstances avez-vous été enlevé ? Qui vous a enlevé ?
Iouri
Iourtchenko. Le
bataillon Donbass. Deux jours avant l’enlèvement, j’avais promis de ramener des
médicaments aux civils parqués dans les sous-sols de leurs immeubles.
D’ailleurs, de manière certes indirecte, j’essayais de faire circuler cette
aide tellement vitale aux civiles, c’était entre autres le cas à Slaviansk. Je
rappelle qu’en cette période les habitants de cette ville étaient privés d’eau,
d’électricité et de nourriture ! Idem pour Ilovaïsk. J’avais préparé des
colis de médicaments. Nous avions pris la voiture, moi et encore sept
résistants, pour nous rendre sur place. Or, au beau milieu de la route, nous
avons été surpris par des tirs d’artillerie et de mitrailleuses. On avait pris
pour cible notre véhicule. Une fois sortis de la voiture, nous comprîmes qu’on
nous avait tendu un piège. Ayant une caméra sur moi, j’ai réussi à filmer le
début de l’évènement. Or, quand j’ai détaché les yeux de l’écran, je m’aperçus
que nous étions encerclés par une trentaine d’Ukrainiens armés jusqu’aux dents.
Nous n’avions aucune chance,
cela d’autant plus que ceux qui m’accompagnaient avaient déposé les armes. En
tant que correspondant de guerre, j’avais sur moi une arme (qu’ont tous les
correspondants de guerre à des fins d’autodéfense) et la caméra que je viens
d’évoquer. Comme j’étais derrière mon groupe d’accompagnateurs, les membres du
bataillon n’avaient pas remarqué que j’étais armé. J’avais donc le choix :
soit ouvrir le feu, soit me suicider. Néanmoins, comme mes jeunes compagnons
avaient déjà fait leur choix puisqu’ils avaient déposé les armes, je n’ai
choisi aucune des deux options. J’ai juste caché mon arme entre les coussins de
banquette arrière ainsi que mon portable où il y avait pas mal de numéros de
résistants (…).
LVdlR.
Et après, vous avez vécu l’enfer ?
Iouri
Iourtchenko.
Oui, c’est un peu comme si je m’étais retrouvé de l’autre côté du miroir (…)
LVdlR.
Ces gens-là n’avaient aucune humanité ?
Iouri
Iourtchenko. Je
ne voudrais pas généraliser. Bien entendu, je n’espérais pas m’en sortir.
Néanmoins, je me disais que si même j’avais cette chance exceptionnelle, une
entre mille, je remercierais ceux qui m’ont fait vivre cette expérience
indicible. Avant de l’avoir vécu, il y avait pour moi deux camps : le camp
de la résistance et celui des Ukrainiens loyalistes (les « Oukres »,
comme on les appelle familièrement dans un contexte assez péjoratif). Dans
chacun des deux camps, je ne percevais rien d’autre qu’une sorte de masse
indifférenciable. Ce n’est plus le cas. J’entends encore des voix, je revois
des yeux, des images … qui font que je ne peux plus raisonner d’une manière
simpliste en termes d’« Oukres ».
Ceci dit, la plupart de ceux
qui s’engagent dans ces bataillons sont des sadiques. Certains d’entre eux
m’ont demandé si je voyais autour de moi des fascistes. Je leur ai suggéré de
se regarder dans le miroir. Ils ne sont soi-disant pas fascistes, mais
préconisent la banalisation de la torture et obligent leurs prisonniers à
crier, un peu à l’instar des nazis allemands, « Ukraina ponad use »
ce qui s’apparente au « Deutshland über alles » dans le sens qu’on
lui attribuait sous le III Reich (L’Allemagne doit dominer le monde). On
assiste donc clairement à une bestialisation des prisonniers et à une
banalisation totale des tortures, quelles qu’elles soient. Néanmoins, et
j’insiste lourdement sur ce fait, il y a des gens qui n’ont pas encore perdu
leur humanité ! Il n’y en a pas beaucoup, mais, à mon regard, ils ont
laissé une trace bien plus importante dans ma vie que ne m'en ont laissée mes
bourreaux. (…).
LVdlR.
Vous êtes citoyen français. Y a-t-il eu des réactions de la part des autorités
françaises, de l’ambassade plus particulièrement ?
Iouri
Iourtchenko. Non,
durant les 24 jours de ma détention, silence total ! Or, le consulat
de France à Kiev était bien mieux placé pour me retrouver que ne l’étaient les
autorités russes.
LVdlR.
Rien n’a été entrepris ?
Iouri
Iourtchenko. Je ne
sais pas ! J’espère que ce n’est pas le cas. Ce qui est curieux, c’est que
Gerashenko avait annoncé mon emprisonnement deux jours après ce qui s’est passé
à Ilovaïsk, il avait précisé que j’étais citoyen français … il suffisait donc
de se renseigner auprès de lui pour savoir où je me trouvais et négocier ma
libération. Je ne vois pas où était la difficulté. Parce qu’il faut savoir ce
que représente chaque heure, chaque minute, chaque seconde dans la vie d’un
prisonnier ! Le glas peut sonner pour lui à n’importe quel moment !
Donc, du côté français, je n’ai senti aucun soutien. Savez-vous en revanche qui
m’a retrouvé ? Un prêtre de Sibérie que je ne connais même pas ! Il
m’a téléphoné. Comme il s’agissait d’un prêtre, mes ravisseurs n’ont pas
protesté. Vous imaginez ? Quelqu’un me retrouve depuis la Sibérie alors
qu’il aurait été tellement plus simple de le faire depuis Kiev ! Enfin …
je sais qu’il y a eu des tentatives, mais elles n’ont pas porté leurs fruits.
Une fois à Donetsk, juste
après ma libération, on m’a transmis un message selon lequel il y aurait eu un
appel du consulat de Kiev à Paris, qui voulait que je fasse silence sur ce que
j’ai été amené à vivre. Quelque temps plus tard, ils m’ont directement
contacté. Ils étaient très gentils avec moi, très gentils avec ma femme … Il y
a eu par la suite un autre coup de fil de la part d’une femme qui m’a demandé
ce que je comptais entreprendre, notamment si je projetais de venir à Paris. Je
lui ai répondu que je préférais être hospitalisé à Moscou. Pour une raison
évidente : vu la politique officielle de la France, il m’est
psychologiquement très dur de me faire soigner à Paris. En plus, j’aurai
certainement le plus grand mal à témoigner de mon vécu. Si on m’a dit de me
retenir alors que je n’étais encore qu’à Donetsk, qu’en serait-il après ?
Après, une fois mes soucis de santé réglés, je reviendrai bien entendu à Paris,
où j’ai toute ma famille, mais pour l’instant, tant que je suis ici, je
considère que j’ai le devoir de parler. Ne serait-ce que devant les prisonniers
qui n’ont pas eu la chance que j’ai eue.
Source : La Voix de laRussie
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