mardi 2 septembre 2014

Analyse - Porochenko et l'invasion russe

Pourquoi Petro Porochenko a besoin de "l’invasion russe"

Guevorg Mirzayan "Expert Online", 28.08.2014

Photo VZ.UA
Les autorités ukrainiennes ont proposé leur propre version d’une série de défaites infligées à ses troupes par les combattants. Selon eux, les localités dans le Donbass ne sont pas prises par les "séparatistes" locaux, mais bien par des unités de l’armée russe.
« Au cours de la dernière semaine dans les villes contrôlées par des mercenaires russes de la région de Lougansk – Lougansk, Krasnodon, Anthracite – les détachements des "combattants" et des "Cosaques" locaux, susceptibles de résister aux forces de l’ATO, ainsi qu’impliqués dans le pillage et le banditisme, ont été substitués par des unités régulières de l’armée russe » – a déclaré le Conseil de la sécurité nationale et de la défense dans un communiqué.



Après cela, selon les autorités de Kiev, les troupes russes ont franchi la frontière au sud de la région de Donetsk.
« A eu lieu une invasion militaire de grande envergure des forces armées de la Fédération de Russie sur le sol ukrainien. L’invasion progresse dans différentes directions. Et aujourd’hui, par ses actions, l’État-major général russe tente de disperser les militants des forces de l’ATO afin de prendre sous son contrôle des agglomérations dans le Donbass » – a déclaré le conseiller du ministre de l’Intérieur Zorian Chkiryak.

Selon le Conseil de la sécurité nationale et de la défense, ce sont des troupes russes qui ont pris Novoazovsk, d’où le commandement de Kiev a évacué ses troupes "pour sauver la vie des militaires ukrainiens".

En faisant passer par tous les moyens l’idée d’une invasion militaire russe, le président Porochenko, en effet, poursuit deux buts. Premièrement, de renforcer au sein de la société et des élites l’idée d’un ennemi extérieur, et deuxièmement, de recouvrer les bonnes grâces des partenaires extérieurs qui étaient un peu déçus des résultats de ses actions.

Ainsi, les succès militaires des combattants sont devenus une vraie menace pour le gouvernement actuel.
Auprès de l’administration du président et des départements militaires se sont ressemblés des militants, exigeant de lui de sauver les soldats et les volontaires piégés dans la "chaudière", tandis que les représentants des bataillons de volontaires accusent les autorités de trahison et les mettent en garde d’une campagne sur Kiev. Bien sûr que la situation pourrait être sauvée par des succès sur le front, mais ceci est peu probable – pour retourner, de manière significative, la situation militaire en sa faveur, ou du moins pour libérer les soldats de la "chaudière", Porochenko n’a pas de forces. Toutes les unités disponibles, d’après les on-dit, sont réunies pour la défense de Marioupol. En conséquence, le front est fragmenté, et non seulement des soldats isolés, mais aussi des unités entières le quittent, sans autorisation.
Par exemple, le bataillon de la défense territoriale "Prikarpatier" est parti au complet du Donbass – les 400 hommes armés ont tenté de rentrer chez eux à Ivano-Frankovsk à travers la région de Zaporojie. Après les demandes de rendre leurs armes, formulées par le commandant des forces terrestres (ukrainiennes, NDT), Anatoly Pouchniakov, venu chez eux personnellement, les hommes ont accepté de rendre les armes lourdes, mais ils ont gardé les armes d’infanterie, et avec ces armes sont partis « vers un lieu de déploiement permanent pour se reposer, se reprendre et pour rendre leurs armes à l’endroit où elles ont été délivrées. »

Par ailleurs, l’offensive des combattants a renforcé la position de certains des oligarques avec qui Porochenko a des relations très tendues.
Ainsi, le gouverneur de la région de Dniepropetrovsk Igor Kolomoïsky essaye de profiter de la situation pour obtenir encore plus de liberté de la part de Kiev sur le territoire sous son contrôle, ainsi que de l’étendre. L’oligarque a déclaré jeudi (le 28.08.2014, NDT) la convocation du Conseil régional de la Défense, et a annoncé l’adoption d’un certain "plan B", et a également l’intention d’inclure dans sa sphère d’influence non seulement Dniepropetrovsk, mais aussi Zaporojie.
« Nous avons invité les autorités de la région de Zaporojie et nous les incluons dans le "plan B". Nous nous sommes techniquement engagés à protéger cette région, car elle est plus faible et nous voyons que l’invasion peut être principalement entreprise dans la région de Zaporojie – a déclaré le chef adjoint de l’administration de la région de Dniepropetrovsk Gennady Korban. – Par conséquent, nous nous engageons à contrôler cette région et les zones adjacentes, en particulier Marioupol et tout ce qui et derrière elle. »

Certains analystes ont même remis en question l’intérêt de la tenue des élections législatives dans une telle situation. Non seulement le vote n’aura pas lieu sur le territoire des régions de Lougansk et de Donetsk, et donc la composition du nouveau Parlement sera partiellement illégitime, mais aussi il peut aboutir à la défaite du "Bloc de Petro Porochenko" (pour la victoire duquel, en fait, les élections ont été truquées). Une série de défaites sur le front, couplées avec la situation politique interne aggravée peut faire pencher la sympathie de l’électorat vers des radicaux à l’image d’Oleg Liachko. Apparemment, la seule façon de l’empêcher, c’est de rassembler la population autour du président par le discours sur « la menace russe sur l’indépendance de l’Ukraine ».

En ce qui concerne le soutien extérieur, Porochenko en a besoin, mais pas celui des États-Unis – il l’a reçu depuis longtemps, et la position de Kiev, en effet, est retransmise en fonction des déclarations officielles du Département d’État (et vice versa). Ainsi, Washington a déjà officiellement reconnu le fait de l’invasion russe en Ukraine.
« L’information indique que la contre-offensive est menée avec le soutien de la Russie » – a déclaré le représentant du Département d’État Jen Psaki.
« La Russie a envoyé dans l’est de l’Ukraine des systèmes de défense antiaérienne les plus récents, y compris le Pantsir-S1, et elle est désormais directement impliquée dans les actions militaires » – a précisé l’Ambassadeur des USA en Ukraine Geoffrey Pyatt.

L’objectif principal de Porochenko était, bien sûr, d’obtenir une réaction de la part de l’Europe, dont la position est beaucoup plus importante pour les dirigeants russes. À Kiev, on regardait avec anxiété le fait que ces derniers temps le Vieux Monde a progressivement commencé à adopter une posture plus dure l’égard des autorités de Kiev et à trouver un terrain d’entente avec Moscou. Les raisons y sont nombreuses – la riposte russe aux sanctions, la prise de conscience de la voie de garage de la nouvelle escalade du conflit avec Vladimir Poutine pour l’Ukraine, la mise à niveau du "prix" en soi (l’Ukraine s’écroule à vue d’œil et se dirige vers la faillite économique totale), l’interception par Washington du contrôle sur les autorités ukrainiennes, et, enfin, la tentative non dissimulée du Kiev officiel de faire chanter l’UE au moyen de la loi récemment adoptée par la Rada Suprême sur les possibles sanctions contre la Russie. En fait, l’Ukraine a mis en place un cadre juridique pour pouvoir, à tout moment, bloquer le transit du gaz russe à travers son territoire, en laissant l’Europe en hiver sans "combustible bleu", il en résulte que les responsables européens ont déjà commencé à parler ouvertement du manque de fiabilité de l’Ukraine en tant que pays transitaire.
« L’Ukraine n’a pas assez de gaz dans ses réservoirs de stockage pour survivre à un hiver long et froid, donc il y a un danger que le gaz soit volé, ou bien, il va tout simplement se perdre sur le chemin de l’Est à l’Ouest » – a déclaré le commissaire européen de l’Énergie Günther Oettinger.

En réalité, l’UE s’est rangée du côté de la Russie dans la demande à Kiev de commencer le processus de fédéralisation et du reformatage de l’État ukrainien, se rendant compte que c’est le seul moyen de mettre fin à une guerre civile qui traîne en longueur sur la périphérie de l’Europe. Et maintenant, en diffusant sur toutes les plateformes possibles l’idée de l’invasion russe, Porochenko espère un rejaillissement des sentiments antirusses au sein de l’UE, ce qui atténuerait tous les problèmes dans les relations entre l’UE et l’Ukraine.

Au moment de la publication de l’article, Porochenko n’a pas réussi à atteindre les objectifs fixés. L’Europe a menacé la Russie, mais très prudemment.
« Le président russe a besoin de réfléchir à deux fois. En effet, les sanctions sont efficaces, et nous pouvons les élargir, et la Russie ne sera pas en mesure de résister à la stagnation et à la récession économique » – a déclaré Günther Oettinger.
« S’il se confirme que les militaires russes sont présents sur le sol ukrainien, ce serait inacceptable et intolérable » – a déclaré le président français François Hollande.

À l’exception de pays comme la Lettonie ou de certains politiciens antirusses (tels que le ministre des Affaires étrangères suédois Carl Bildt), personne ne parle de l’invasion militaire russe comme d’un fait accompli.

Peut-être que cela est dû au fait que les accusations de Porochenko sont infondées. Le fait que les Russes se battent activement dans le Donbass est connu de tous depuis longtemps. Toutefois, ces gens y sont allés en tant que volontaires, et formellement n’ont aucun rapport avec les autorités de leur pays – de la même manière que, par exemple, la participation à l’ATO du côté Kiev de mercenaires suédois, ainsi que des mercenaires de sociétés militaires privées de Pologne. Le gouvernement ukrainien n’a fourni aucune preuve de l’implication formelle de la Russie dans l’opération.

En fait, tout ce que possède Kiev officiel, c’est une déclaration du Premier Ministre de la RPD Alexandre Zakhartchenko que les militaires russes préfèrent passer leurs vacances dans le Donbass, ainsi que dix militaires russes arrêtés par les militaires ukrainiens. Toutefois, les autorités ukrainiennes, à elles toutes seules, ont anéanti l’importance de ce dernier argument, quand elles ont déclaré que les militaires ont été pris avec leurs papiers d’identité. Cela, de façon beaucoup plus convaincante que les paroles du ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, prouve que les soldats russes ne sont ni une armée d’invasion, ni encore moins des saboteurs – sinon ils auraient été envoyés en Ukraine sans papiers et on leur aurait strictement interdit d’écrire à ce sujet dans les réseaux sociaux (des captures d’écran des messages qu’ils "sont partis pour disperser Maïdan" avaient été montrées par les médias ukrainiens). Il est évident qu’il s’agit vraiment d’une patrouille désorientée sur le terrain qui était basée dans la région de Rostov et qui faisait office de simple renfort de la frontière.

Et tant que Kiev officiel ne trouve pas d’autres preuves de "l’invasion officielle russe", ses paroles ne doivent pas être prises au sérieux.

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