lundi 17 novembre 2014

L'interview d'Igor Strelkov (partie 2)

Interview d’Igor Strelkov : « On a fait 17 kilomètres en marche à travers la frontière ». 2e partie : la Crimée

15 novembre 2014

Interview, la suite

S. C. : Pourquoi êtes-vous parti ?

I. S. : On a misé sur un soi-disant règlement pacifique. Cette mise, selon moi, a été une erreur, et on voit cette erreur vraiment à l’œil nu, je pense. Compte tenu de cette mise, on a trouvé ma présence inopportune. On a agi, je ne le cacherai pas, par le biais d’un certain chantage et d’une pression directe – en cessant l’arrivée de l’aide venant du territoire de la Russie. Je le dis ouvertement. La seule chose que je veux dire, je n’y ai pas résisté suffisamment fort, puisque je suis malgré tout un officier russe de réserve et je ressens mon devoir envers le pays. Même si je suis en désaccord avec telle ou autre décision de la direction politique de la Russie, je me dois de m’exécuter de toute façon.


S. C. : Vous vous êtes constamment trouvé à la frontière entre la vie et la mort, puisque Slaviansk a été pilonnée. Qu’est-ce que cela fait de côtoyer la mort ?

I. S. : Vous savez, pour moi cette campagne militaire est la cinquième. Finalement, elle a été la moins dangereuse de toutes pour moi, en tant qu’individu, en tant qu’être vivant. Puisque j’ai assuré le commandement d’un dispositif assez important, ensuite d’une unité, et ensuite j’ai dirigé une armée, si on peut l’appeler l’armée, c’était une armée, quelle qu’elle soit. Je passais la plus grande partie de mon temps à l’État-Major. Bien sûr, je me rendais sur nos positions, notamment pendant des actions militaires actives, pendant des bombardements… Mais dire que j’ai fait preuve d’un super héroïsme en qualité de soldat, je ne le peux pas. La question est bien une autre : le plus dur pour moi était de ressentir une énorme responsabilité, une responsabilité colossale. Cela m’épuisait bien plus que de ressentir un danger physique. J’étais conscient que je répondais du sort de milliers et de milliers de personnes.

S. C. : On a mis votre tête à prix. Il y a eu et il y a ceux qui sont intéressés de vous éliminer.

I. S. : Vous comprenez bien, quel atout aurait obtenu la partie ukrainienne si, admettons, elle me capturait et me faisait venir à Kiev ou à La Haye. Les progrès de la chimie de nos jours permettent de briser la volonté de n’importe quelle personne qu’elle le veuille ou non. Le temps de la "Jeune garde" (NDT : Groupe des jeunes résistants ayant opéré à Krasnodon au Donbass lors de la 2e guerre mondiale et réputé par son stoïcisme de ses membres envers des tortures des Allemands) est revoulu. Les Allemands ne disposaient pas de produits chimiques comme ceux qui ont été mis au point de nos jours. Ainsi, je représente un certain danger en tant que porteur de secrets, si on peut dire ainsi.   

S. C. : Vous détenez beaucoup de secrets ?

I. S. : Bien sûr. Par contre, en ce qui concerne ma personne, cela m’importe moins de rester en vie ou pas. Je considère que chaque personne est prédestinée à quelque chose… Disons, on ne peut noyer celui qui doit être pendu. L’essentiel est de suivre le principe attribué tantôt aux Chinois, tantôt à l’empereur Dioclétien ou encore à Marc Antoine : « fais ce que dois, advienne que pourra ». C’est le plus raisonnable, surtout en période de guerre.

S. C. : Qu’est-ce qui vous apporte du soutien dans la guerre ?

I. S. : Moi, c’est la foi qui m’a soutenu. Sans la foi, la compréhension que Dieu nous aide réellement, – et je reste persuadé que Dieu nous a aidés, puisque certaines choses ne peuvent pas être expliquées du point de vue rationnel – nous n’aurons pas tenu.

S. C. : Il y a eu des situations miraculeuses ?

I. S. : À souhait… À profusion. Le miracle est que nous n’avons pas été éliminés au cours des premiers jours. Le miracle est que tous les plans de l’ennemi pour nous éliminer échouaient. Le miracle est qu’avec des pertes minimales, nous, surtout à Slaviansk, avons pu provoquer des dégâts bien plus considérables chez l’ennemi. Si on regarde la rétrospective de la défense de Slaviansk : défier avec quelques dizaines d’hommes armés l’État ukrainien tout entier – même s’il était en ruines et dans une anarchie, c’était malgré tout un État et ses forces étaient incommensurablement supérieures – révèle d’un miracle. Ils auraient pu nous écraser simplement comme des mouches. Mais cela n’est pas arrivé à cause d’un quelconque concours de circonstances, dont chacune peut sans doute être expliquée séparément de façon tout à fait rationnelle.

S. C. : Les guerres en Transnistrie et dans les Balkans, où vous avez été, et cette guerre-là, qu’est-ce qu’elles ont en commun ?

I. S. : Tout ça, ce sont des guerres civiles. Ce sont des gens qui parlent la même langue qui font la guerre. La division se fait selon l’idéologie et non selon les ethnies. En Bosnie la division était aussi selon les confessions. Mais ce sont des frères qui se battent…

S. C. : La Transnistrie s’est tout de même battue pour la langue russe, non ?

I. S. : Oui, mais dans les unités qui se sont battues contre Kichinev il y a eu des Moldaves, des Ukrainiens, et des Russes. Il y a eu tout un International. Il y a même eu des Gagaouzes. De l’autre côté, il y a aussi eu des Russes, d’ailleurs. Admettons qu’à Tighina c’est une unité des forces spéciales de police qui nous affrontait – OPON. Il y a eu suffisamment de Russes qui, du temps de l’Union Soviétique, ont fait leur service à l’OMON. Ils sont automatiquement devenus des OPON’s et sont automatiquement partis pour écraser leurs frères. Ceci dit, là-bas aussi, sous les drapeaux des forces de Kichinev il y a eu du nationalisme radical : d’ailleurs, il n’était même pas moldave, mais roumain.

S. C. : La Crimée c’est votre œuvre ?

I. S. : J’ai participé aux évènements, mais dire que c’est mon œuvre évidemment, je ne le peux pas. Mon rôle y a été assez modeste, bien que dans certains points non sans importance.

S. C. : Je me souviens d’être arrivé là-bas par avion fin février et observer l’autorité dont vous y jouissiez. J’ai eu l’impression que c’était vous qui gériez les affaires.

I. S. : Au début ma participation y a été assez sérieuse. Par la suite, au fur et à mesure que les choses évoluaient, je me suis retiré à l’ombre et m’occupais simplement de former un escadron spécial, ensuite un bataillon spécial. Et d’aider les forces russes.

S. C. : En quelle période vous êtes-vous retrouvé en Crimée ? Lorsque tout a démarré ? Aussitôt après le Maïdan ?

I. S. : Deux jours avant le début de tout.

S. C. : C’est-à-dire, lorsque Sébastopol s’est levée… ?

I. S. : J’étais déjà en Crimée.

S. C. : Et vous avez tout vu avec vos propres yeux ?

I. S. : J’ai dirigé la prise de l’aéroport de Simferopol. Car il y a eu une certaine hésitation. Ainsi, j’ai dû devenir pour ainsi dire, l’entraineur prend part au jeu.

S. C. : Vous avez été témoin de l’affrontement entre les militants russes et des militants tatars ?

I. S. : Non. Je ne l’ai pas été.

S. C. : Mais vous étiez déjà là-bas ?

I. S. : Oui, j’y étais.

S. C. : Vous connaissiez Sergueï Aksionov avant ?

I. S. : Oui, je le connaissais. J’ai fait sa connaissance pendant l’offertoire des Rois mages. À l’époque à Simferopol il m’a fait une très bonne impression, très sérieuse. C’est un homme charismatique. Lorsqu’on lui reproche des péchés du passé, je peux dire : voici une personne capable de s’élever au-dessus de son passé, capable d’évoluer – c’est sans équivoque. Il est très intelligent, énergique. Il a toutes les qualités d’un grand leader politique et j’espère que la Crimée n’est pas la dernière marche dans sa carrière politique en Russie. C’est une grande tragédie qu’il n’y ait pas eu un homme comme lui à Donetsk. Quand je rentrais sur le territoire de l’oblast de Donetsk, j’espérais pouvoir trouver un tel leader et deviendrais un conseiller auprès de lui, c’est-à-dire reproduire ce qu’il y a eu en Crimée.

S. C. : C’est vous qui avez trouvé Aksionov ?

I. S. : Vous savez, les avis divergent là-dessus. Le fait est que Serguei Aksionov a été en contact avec beaucoup de monde, dont moi.

S. C. : Vous vous êtes rendus à Donbass directement de la Crimée ?

I. S. : En somme oui. Je me suis rendu une journée à Moscou. Après, je suis revenu en Crimée et une semaine – 10 jours après, j’ai pris la route.

S. C. : Vous aviez plusieurs hommes sous vos ordres ?

I. S. : Cinquante-deux.

S. C. : Que sont-ils devenus ?

I. S. : Il y en a qui ont trouvé la mort. Pas mal de personnes se sont fait tuer. Je pense qu’au moins un quart a été tué ou grièvement blessé.

S. C. : Qui sont ces gens-là ?

I. S. : La majorité, ce sont des citoyens de l’Ukraine. Beaucoup de ressortissant de la Crimée. Peut-être un quart était Russes. Dont Motorola.

S. C. : C’est-à-dire, Motorola est arrivé à ce moment-là ?

I. S. : Motorola a traversé la frontière avec nous. En Crimée, je l’ai sélectionné parmi les volontaires qui nous ont rejoints des autres unités et de la milice de la Crimée.



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